Nos maisons intérieures - Partie 1
Aujourd’hui, nous avons eu un retour positif. Et je suis heureuse, comme un besoin de m’arrêter -enfin- à un endroit, une place, un jardin, avec une vue sur la forêt. Pourtant, je n’ai jamais eu l’âme d’être propriétaire, la permanence m’angoissait. Ne plus être libre, être attachée à quelque chose, ne plus pouvoir partir… quelle angoisse. Il faut croire que l’on change.
En plus, “investir” est un mot que je ne connais pas. Bien entendu, je comprends l’idée et le concept, mais je trouve que cela n’a pas de sens. Sens en terme de valeur. L’argent déjà, je ne comprends pas, alors investir ! L’argent n’a pas de valeur propre. C’est un moyen pour moi, c’est tout; ça ne reflète rien. Je n’en n’ai pas, et je pense que je n’en n’aurais jamais, parce que c’est assez vide de sens pour moi. Il arrive et hop il s’en va, et c’est pas grave. Parfois j’ai l’impression de sortir de l’Antiquité et qu’on se doit de m’expliquer les bienfaits d’un bout de papier où d’une pièce martelée.
Mais revenons à nos maisons. Il est intéressant de noter que mon métier consiste à soigner l’intérieur des gens. Leur intérieur. Qui reflète donc une partie d’eux, mais à l’extérieur d’eux même.
Je suis en quelque sorte, une psy du bâti. J’écoute beaucoup, je nettoie et essai de transfigurer ce qui ne va pas, pour être en accord avec leurs personnalités, ce qu’ils aiment, la façon dont ils vivent, ce qui est important à leurs yeux. Pas pour faire “joli”. Il est vrai que je fais peu de projet “déco”, dans le sens de à la mode ou bluffants, car je préfère soigner et rendre une âme, qu’habiller de vide. Par exemple, cela m’est complètement égal de mettre un papier peint jungle, juste parce que c’est esthétique, si cela n’a pas de sens pour les propriétaires. Ont-ils été un jour émus par un voyage en Tanzanie ? Se sont-ils promenés eux aussi en pirogue dans le delta de l’Okavongo ? Si non, l’argument “c’est beau” n’est pas assez fort. Ce n’est pas une raison suffisante.
Je me fiche un peu de l’esprit de mode ou d’avoir tel ou tel type de publication, sur tel ou tel support; ce qui m’importe chez les particuliers, c’est qu’ils se sentent bien chez eux. C’est que je leur rende les clés, avec l’impression de leur avoir rendu un “chez eux” en mieux. Imaginez : si vous ne mettez jamais de talons ou de robes et que l’instant d’une soirée, on vous déguisait. Ce ne serait agréable pour personne hormis le ou la styliste qui ferait un “avant/après” du tonnerre. Ce qui est certain c’est que ce serait du mauvais boulot parce que ce ne serait pas du tout agréable pour vous. Voilà, c’est pareil pour un salon.
Moi, mon intérieur, je ne l’ai jamais objectivé, je ne l’ai jamais vu comme une étude de cas pratique pour faire bien. C’est chez moi, voilà tout. Le style, les meubles suivent mes envies, ce que j’aime à ce moment là de ma vie. Il n’y a aucune logique, aucun travail dessus et surtout aucune recherche de “ce qui fait bien en ce moment”. Oui, c’est sur, je visualise peut être plus vite, et je sais instinctivement ce qui marche ensemble ou non, mais c’est tout. Je crois que je crée mon intérieur avec les sentiments.
Je tente ici de faire un bilan; une revue de mes lieux de vie; ceux où j’ai grandi, j’ai rêvé, j’ai pleuré, j’ai été heureuse, j’ai ri, j’ai dansé, j’ai été violentée, j’ai aimé.
Peut-être que cette étape est importante; pour enfin, me poser.
Mon premier appartement était fait de bric et de broc : un canapé design orange côtoyait une bibliothèque en bois remplie de livres et de disques. Je crois que je n’ai jamais, au grand jamais, acheté des “objets de déco” parce que je n’en n’ai jamais vu l’utilité. C’est presque comme l’argent, ça n’a pas de sens en soi. Dans ce premier appartement, il y avait des affiches de concerts sur les murs, quelques photos et des pochettes de disques. Je peignais et me faisait mes propres toiles selon mes envies et inspirations du moment. Dans cette vie étudiante, au coeur de Bordeaux, je posais aussi pour les peintres, pour me faire un peu d’argent, ce qui m’a valu quelques croquis de moi gratuits au fusain. Aujourd’hui encore, ces esquisses de mon corps nu sont toujours dans ma chambre. Elles me rappellent qu’un jour, du haut de mes 20 ans, j’eu l’audace, malgré mes complexes, mes bourrelets, et mes seins lourds, de me mettre à poil devant des étudiants du même âge que moi.
Dans cet appartement, au rez-de-chaussée d’un quartier populaire, ce dont je me souviens c’est d’un cocon tout doux où passaient les copains à l’improviste en toquant à la fenêtre. Je me souviens de la musique que j’écoutais en boucle; Keren Ann, Syd Matters, Belle & Sebastien; je me souviens d’avoir eu froid l’hiver pour ne pas devoir payer trop d’électricité; je me souviens des bouteilles de rouges qu’on débouchait, des bougies à la cannelle que j’allumais pour masquer l’odeur de la cigarette. Je me souviens de douceur, de notre chambre dans ce sous-sol humide aux murs en pierre et aux draps glacés; je me souviens des rires, des concerts qu’on allait voir dans les caves, des copains qui finissaient par dormir par terre dans le salon, de mes aventureuses ambitions culinaires, de lire les Inrocks et Télérama, de passer mes journées à la BU, d’essayer d’écrire un mémoire de 200 pages A4, de mes tenues chics pour aller dans des rades. Je me souviens des rhums cassis à 2 francs de chez Antoine et de son juke box, de l’avocat poète qui trainait toujours là, seul, avec sa mallette et ses carnets, je me souviens des samedis passés à la fourrière parce que j’avais encore oublié ma caisse sur la place Saint Michel, de mes boulots étudiants complètements loufoques, de Céline qui était caissière chez Champion et qui nous faisait passer toutes nos bouteilles d’alcool gratos à la caisse, des thés à la menthe sur la place en discutant du monde, mais surtout, je me souviens de nous, qu’on s’aimait, que c’était doux, naturel, et beau.
Je me souviens à ce moment là, d’avoir été libre et heureuse; et c’est pour cela que cet appartement là, restera l’un des plus beaux.
Ensuite, il y eu l’appartement du Sud, premier vrai travail, le déménagement, quitter notre rue, les copains, la vie qu’on a connue. Arriver dans le sud, ses façades, sa chaleur, son accent. Une rue pourrie encore, mais avec le prix imbattable de 300 euros pour 4 pièces dans un hôtel particulier avec garage. La tapisserie était immonde, les fenêtres mal isolées, la baignoire sabot une vrai épreuve de contorsionniste. Moi, je ne voyais rien de tout cela. Je voyais mon premier appartement payé avec mon premier vrai boulot. Je voyais la gouaille du sud quand il y avait trop de bruit ; je voyais Séville quand les voisins gitans se mettaient à jouer de la guitare, sous mes fenêtres, à 1h du matin ; je voyais les tommettes anciennes dans le séjour et non un carrelage fendillé; je voyais la cour d’un ancien hôtel particulier quand d’autre auraient vu un simple vitrage avec des verres cassés. Mais petit à petit, les fissures de cet appartement se sont agrandies parce que nous, on a grandi. On a essayé pourtant de colmater les brèches, de recoller les morceaux, mais ça n’a pas marché.
Alors, ici, j’y ai vu la fin d’une ère. La fin d’une belle histoire, la fin de l’insouciance et de la vie étudiante, les sanglots qui ne s’arrêtent plus, la première rupture amoureuse, et le début d’une longue période de fourvoiement.
La suite est moins belle.
Car le prochain appartement est un fragment de vie dont j’aimerais ne pas me souvenir. D’ailleurs, je ne m’en souviens pas spontanément. Ma mémoire à occulté presque 2 ans de vie et j’ai besoin d’un réel effort de concentration pour revoir des moments; contrairement à d’autres souvenirs heureux ou tristes qui arrivent comme des fulgurances par associations d’idées, une musique qui me transporte, ou une odeur que j’avais oubliée; ces deux années là, elles ne me reviennent jamais, jamais en mémoire.
En y pensant très fort, voici ce dont je me souviens.
Un jour, il y eu un rat. Un gros rat a jailli de ma poubelle chez moi, et ce garçon (appelons-le ainsi même s’il mériterait plutôt un nom d’oiseau - d’ailleurs je vais l’appeler Pivert, c’est bien, ça sonne bien Pivert et c’est tout de même beaucoup plus poétique que le sale con).
En voyant ce rat dans mon appartement il me tonne, de manière péremptoire “Tu ne peux pas rester ici, c’est un trou à rat. Qu’est-ce que tu fous dans ce bouge ? Toi t’es une princesse, il te faut la grande vie, il te faut un appart sur Central Park avec des Louboutin, pas un appart miteux ! Tu mérites beaucoup mieux”.
Et moi, toujours à m’excuser d’exister, me trouvant nulle pour tout ce que j’entreprends, et avec ce sentiment d’imposteur qui ne me quitte jamais, quoi que je fasse ou dise; j’ai été presque soulagée. Comme si, en laissant quelqu’un me prendre en main, j’allais gagner en liberté. Il était sur de lui, gagnait de l’argent, ou en tout cas avait une société qui marchait bien, n’hésitait jamais, était arrogant, avait des idées arrêtés sur tout. Avec le recul, évidemment que ça sent vraiment mauvais cette histoire, mais j’avais peut-être besoin de me prouver que je valais quelque chose.
Alors, j’ai emménagé avec lui.
{A suivre….}
Retrouvez la suite la semaine prochaine, directement dans votre boite mail en vous inscrivant ici !